Convictions, certitude


Le texte ci-dessous est une contribution parue en octobre 2000 dans "Echanges Chrétiens sur le Net" ("ECN"), et reproduite ici sans changements autres que de mise en forme.

 

Cher B.,

Tu écris:

Philippe Lestang a écrit :

>Il me semble qu'être chrétien, c'est avoir rencontré quelqu'un:
>Jésus-Christ, qui nous a dit de le suivre.
>Tout le reste est contingent, convictions personnelles, et non certitudes

Avoir rencontré Jésus-Christ et avoir entendu son appel: est-ce une certitude ou une contingence?
Si c'est une certitude, sur quoi se fonde-t-elle ?
Sur l'Eglise, sur l'Evangile écrit et proclamé par l'Eglise ?

1)

Abraham a suivi l'appel de Dieu. La foi est-elle une certitude, ou repose-t-elle sur des signes qui, comme on en avait discuté dans ECN vers le numéro 88, signifient surtout pour celui qui les perçoit?

La foi est un itinéraire. Bernard Sesboüé, dans "Croire" (Droguet et Ardant), page 48, écrit: "plus je m'engage dans la foi, plus je vois avec une lumière qui me donne la certitude".

Je me demande s'il ne s'agit pas d'un problème classique de bouteille à moitié vide et à moitié pleine: ce que l'un appelle certitude, parce qu'il s'appuie dessus pour agir, l'autre - qui s'appuie tout autant dessus pour agir - l'appelle conviction forte, parce qu'il a l'esprit plus tourné vers "tout ce qu'il ne sait pas", ce qui lui fait garder davantage en tête l'imperfection de notre connaissance (cf 1 Co 13,9).

 

Le "Vocabulaire technique et critique de la philosophie" de Lalande (PUF) cite, à propos du mot "certain", la phrase suivante de Renouvier:

"A proprement parler, il n'y a pas de certitude, il n'y a que des hommes certains", c'est à dire "qui adhèrent à une proposition sans aucun mélange de doute".

Ce vocabulaire (publié et tenu à jour depuis 1902 par la société française de philosophie) conclut son étude sur "certitude" en distinguant 3 niveaux de conviction:

- l'adhésion forte de l'esprit pour des motifs d'ordre objectif (évidence actuellement commune à tous les hommes)
- l'adhésion forte de l'esprit pour des causes non intellectuelles, individuelles
- l'adhésion faible, laissant place au doute

Le premier est désigné en abrégé par "cert", le deuxième par "kred", le troisième par "opini"...

 

Personnellement, et bien que ma propre conversion, il y a une douzaine d'années, se soit présentée comme une évidence intérieure, j'ai tendance à considérer que je n'ai que des convictions, pas des certitudes. Sauf dans le domaine purement logique abstrait ("si .., alors.."), ou pratique: le lever du soleil (encore que ... :-) .

Mais quand une conviction est forte, elle agit en pratique comme une certitude. La nuance, importante, c'est qu'on est prêt en principe à la remettre en cause; c'est peut-être cela, d'ailleurs, qui rend le dialogue possible avec les non-chrétiens (je ne crois donc pas, contrairement à O., que ce que je dis est "plus vrai" que ce que dit l'autre: je cherche avec l'autre si nos discours peuvent se comprendre).

 

J'ai donc une conviction forte que Jésus est l'amour vivant, l'image du Père, ressuscité. Ce n'est pas une certitude absolue!! (Une telle certitude, de mon point de vue, n'est pas de ce monde). Mais c'est une "certitude opérationnelle".

 

2)

Cette conviction se base:
. sur tout ce que les chrétiens et les hommes en général m'ont permis de comprendre à ce sujet - notamment par la Bible bien sûr,
. et sur la grâce qui donne la foi.

J'ai bien dit "les chrétiens"; l'Eglise catholique est historiquement la mère qui a guidé la transmission en Occident. Mais, au moins depuis le schisme avec l'Orient, il y a en fait "les" Eglises et non l'Eglise. Et il me semble que je ne m'intéresse pas tellement à l'église en tant qu'organisation. Les chrétiens, c'est plus concret.

 

Je suis d'abord un homme (je n'ai pas une notion de la "certitude" différente de celle qui est reconnue par l'ensemble des hommes - et je pense le message de la révélation comme s'adressant à tous les hommes tels qu'ils sont); ensuite un chrétien; et enfin un catholique.

C'est ma façon d'être catholique "en vérité", c'est à dire avec la plus grande honnêteté possible par rapport à l'ensemble des hommes.

Fraternellement à toi,

Philippe L.

 

Texte plus récent sur un sujet voisin: "Vérité révélée, vérité évaluée"


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