Expérience charismatique et dialogue entre chrétiens


Les manifestations de l'Esprit dans les milieux charismatiques sont un "bien commun" des chrétiens qui n'est pas encore accepté par tous.
De leur côté les groupes charismatiques, dont le rayonnement spirituel et le dynamisme sont souvent impressionnants, n'ont semble-t-il pas réfléchi de façon suffisamment ouverte sur cette réalité, et leur comportement paraît parfois inadapté à un véritable dialogue avec leurs frères non-charismatiques.

Mes nombreux amis membres de groupes charismatiques me pardonneront, j'espère, après avoir lu ce texte, les quelques mots qui peuvent les y blesser; Dieu sait si j'aime et admire ce qu'ils sont et ce qu'ils font. J'essaie d'énoncer ci-après comment je comprends les choses actuellement, et je me réjouirai s'ils peuvent m'aider à redresser ce qui serait erroné. Ce que j'écris se base à la fois sur mon expérience personnelle et sur ce que m'ont dit différentes personnes, de plusieurs régions de France et concernant divers groupes.

 

L'Esprit, disent les uns, qu'est-ce que c'est? Et puis, ajoutent d'autres, n'est-il pas présent en tout chrétien, depuis les débuts de l'Eglise?

Présence de Dieu en nous, l'Esprit est assurément actif en tout baptisé; il est celui qui nous guide, et en qui nous prions: alors que le Christ a été, et reste, le "visage d'homme" de Dieu, et que le Père, mystérieusement, englobe tout, l'Esprit est celui qui nous apporte la grâce, et nous accompagne intérieurement. Quand nous prions, nous prions Dieu, et il ne faudrait pas que la distinction des personnes nous perturbe ou conduise à des idées fausses. Ce n'est que par moments, et plus ou moins intensément selon les itinéraires personnels, que nous sommes amenés à nous adresser plutôt au Christ (par exemple parce que nous pensons à lui et à sa vie), au Père (par exemple parce que nous sommes dans le besoin et pensons à la Providence), ou à l'Esprit, à qui nous demandons par exemple, comme dans le "Veni Sancte Spiritus" d'assouplir en nous ce qui est raide, de redresser ce qui est faussé, etc.

Et l'Esprit parle en nous, si nous apprenons à l'écouter; il parle, que nous ayons fait une expérience charismatique ou non.

 

Une forme renouvelée de la présence de l'Esprit

La présence de l'Esprit est expérimentée sous une forme particulière, analogue à celle des premiers temps de l'Eglise, par les Pentecôtistes et les charismatiques.

Pourtant certains mettent en doute la réalité, ou la particularité de cette forme de présence. Ils voient dans les groupes charismatiques le rassemblement d'esprits névrosés, ou considèrent qu'il s'agit d'opérations de manipulation psychologique. Ils ont éventuellement fait des expériences très négatives ou ressenti un profond malaise dans ces groupes.

Sans doute n'ont-ils pas été en contact personnel avec suffisamment de témoins de ces nouveaux dons de prophétie, de guérison, de conversion etc.: dons répandus désormais largement sur l'ensemble de ces groupes, et non plus réservés comme autrefois à quelques saints.

Lorsque le pape Paul VI a déclaré en 1975 que le mouvement charismatique est "une chance pour l'Eglise et pour le monde", et lorsque le Vatican a reconnu officiellement ces dernières années des groupements comme l'Emmanuel, le Chemin Neuf ou les Béatitudes, peut-on penser que c'est en ignorant ces manifestations et ces charismes, qui en constituent une caractéristique essentielle?

 

Une "nouvelle Pentecôte"

Que sont alors ces charismes, cette effusion de l'Esprit, que certains appellent de façon peu satisfaisante "baptême dans l'Esprit"?

Le plus simple est de dire d'abord que c'est un "fait": depuis un siècle maintenant, des groupes de plus en plus nombreux ont vécu cette nouvelle expérience de Pentecôte: transformés par elle, ils ont, comme les premiers disciples, jailli hors de leurs maisons pour témoigner, poussés par l'Esprit.

Ce "fait" est mystérieux bien sûr! Pourquoi Dieu a-t-il, apparemment, choisi de se manifester particulièrement sous cette forme à notre époque? C'est son secret!
Mais il ne serait pas exact de dire qu'il s'agit simplement d'une nouvelle spiritualité: car ce renouveau dans l'Esprit, qui conduit souvent à une conversion profonde de la personne, s'adresse potentiellement à tous.

Tout ceci se passe évidemment dans des psychologies humaines; mais dire qu'il s'agit d'exaltation, d'illusion, serait ignorer les nombreux signes qui accompagnent cette vie nouvelle dans l'Esprit; signes ténus le plus souvent, signes plus visibles parfois.

Il m'est venu à l'esprit une comparaison, exagérée peut-être? C'est celle de la venue de Jésus, à son époque: Jésus a rencontré de nombreux hommes et femmes, et pour beaucoup d'entre eux ce fut un contact inoubliable, l'occasion d'une conversion, le début d'une nouvelle vie; Jésus n'a cependant pas rencontré tous les hommes de son temps. Par quel hasard l'un s'est-il trouvé sur son chemin et l'autre pas? Cela fait partie du plan de Dieu.
De même peut-être cette manifestation de l'Esprit, renouant avec les premiers temps de l'Eglise, se fait dans la liberté de Dieu: l'un est touché, c'est à dire bénéficie de cette expérience nouvelle, et l'autre pas; tous cependant peuvent la demander. Pour ceux qui sont touchés, c'est le plus souvent le début d'un itinéraire nouveau.

 

Quelques remarques

La diversité des psychologies humaines, et la diversité des itinéraires, font que l'un peut être prêt pour recevoir ainsi l'Esprit et l'autre pas; que l'un peut apprécier les gestes et attitudes habituels des groupes charismatiques, et d'autres au contraire être repoussés par eux. De même que parmi ceux qui ne croient pas en Dieu, certains peuvent à un moment donné rencontrer la foi, tandis que d'autres lui resteront hostiles tant les formes de la religion et le comportement de certains chrétiens les en auront écartés.

C'est bien un cheminement personnel que chacun doit suivre; Dieu seul sait si pour celui-ci ou celle-là cette manifestation de l'Esprit prendra sa place dans son itinéraire spirituel, ou bien s'il fait partie de ceux pour qui elle n'aura jamais lieu pendant son existence terrestre.

Les non-charismatiques ne sont pas moins chrétiens que les charismatiques. Et de même qu'on ne considère pas, ou plus, que la priorité pour un chrétien est de convertir tout non croyant qu'il rencontre, mais qu'elle est de l'aimer, de même c'est avec une infinie délicatesse que les charismatiques devraient, me semble-t-il, parler de ce qu'ils vivent avec ceux qui ne partagent pas ou pas encore leur expérience.

Annoncer la foi à tous, certes! Mais proposer trop directement l'approche charismatique, voilà qui me semble poser davantage de problèmes, et qui peut être à l'origine de bien des difficultés, même si les charismatiques ne s'en rendent pas toujours compte. Par exemple les "groupes de prière" et autres "demandes de prière" ne conviennent pas à tous, loin s'en faut.

Il me semble qu'il y a là risque de confusion entre une vocation particulière et la vocation générale du chrétien, entre l'annonce de l'évangile à tous, tenant compte de la diversité des milieux, et le recrutement pour un sous-groupe particulier.

D'autant que les manifestations charismatiques de l'Esprit prennent, de fait, des formes multiples. A côté de ceux pour qui elle se traduit notamment par le "parler en langues", il y a tous ceux pour qui elle est plus diffuse, ou intervient sous une forme bien différente, compte tenu de la personnalité en cause ou du milieu dans lequel elle se produit. Il ne faudrait pas que les groupes charismatiques semblent être comme des "professionnels de l'Esprit" (! :-), décidant comment recevoir l'effusion de l'Esprit, qui l'a reçue ou non, et comment ceux qui l'ont reçue doivent se comporter...

Ajoutons que si, comme on l'a dit plus haut, cette rencontre de l'Esprit peut être le début d'un itinéraire nouveau, ce n'en est certainement pas la fin: on peut être plus ou moins rempli de l'Esprit, que l'on soit charismatique ou pas.

 

Un bien commun

Oui, les manifestations charismatiques de l'Esprit sont un bien essentiel pour nos églises, et il serait bon que cela soit davantage vécu ainsi!

Sans doute y a-t-il des difficultés à l'expliquer, et, comme on vient de le dire, des maladresses qui rendent les contacts difficiles. Les charismatiques, il est vrai, utilisent par moments un vocabulaire ou des expressions très particuliers, qui les font presque nécessairement passer pour des extraterrestres auprès des autres chrétiens.

Mais comme il est dommage que cette richesse demeure inconnue, voire rejetée; il y a là tout un effort à faire, de part et d'autre: pour admettre qu'il y a vraiment là présence du Seigneur; pour expliquer cette présence en termes adaptés, progressifs, aimants.

 

Dans le dialogue entre tous

L'expérience charismatique est-elle, comme cela m'a été dit un jour, "l'expression authentique de la foi chrétienne"? Ou encore - et c'est ce que j'ai entendu de plus choquant, est-ce que "c'est parce qu'ils manquent de foi, et refusent de venir vers le Seigneur, que les autres chrétiens ne sont pas charismatiques"?

Il y a dans des affirmations de ce genre une prétention (inconsciente?), un manque d'ouverture et un manque de réflexion qui me laissent sans voix, découragé.

Comme si, pour reprendre la comparaison prise plus haut, ceux qui avaient eu la chance de rencontrer le Christ dans sa vie terrestre avaient une spiritualité plus "authentique" et une foi plus grande que tous ceux (nous!) qui ne l'ont pas rencontré.

De nombreux hommes et femmes de haute spiritualité et de grande charité, aux diverses époques de l'Eglise, antérieurs au mouvement charismatique mais aussi postérieurs, ont montré et montrent, je pense, une foi tout ce qu'il y a de plus authentique, même si elle n'est pas charismatique.

Ce don merveilleux de l'expérience charismatique de l'Esprit ne doit donc pas conduire à vivre "dans un petit nuage", ni faire penser, comme on l'a dit plus haut, que le but à poursuivre est de transformer tout le monde en charismatiques. Ce ne serait pas agir selon l'amour, et cela ne se réalisera pas.

Notre but doit être d'aimer. C'est ce que l'Esprit veut nous rappeler.

Je rêve donc d'une forme d'oecuménisme entre charismatiques et non charismatiques: d'un respect tel que le non-charismatique puisse parler et faire part de ses préoccupations par rapport aux actions et discours des groupes charismatiques en ayant l'impression d'être entendu, et sans avoir l'impression que l'autre cherche à le convaincre qu'il a raison ou le considère comme quantité négligeable, non prioritaire. Où les groupes charismatiques admettent qu'ils ne sont qu'une des formes possibles de christianisme, qui doit respecter les autres et entrer en dialogue modeste avec elles.

Car sinon il n'est pas possible d'avoir un dialogue véritable.

 

Il faudrait ajouter à ce texte une réflexion sur les aspects psychologiques et plus encore sociologiques (phénomènes de groupe) des mouvements charismatiques; mais ce serait un autre texte, sortant de mes compétences.

J'ai écrit ce qui précède d'abord pour faire le point, de mon point de vue, sur l'effusion de l'Esprit.
Je l'ai écrit aussi parce que parfois je ressens le risque de ruptures, ou même en constate.

Bouteille à la mer? Je crains que beaucoup de charismatiques ne comprennent absolument pas ce sur quoi je veux attirer leur attention dans ce texte; et je n'ose espérer que ceux qui leur sont hostiles changent d'avis...

2 juillet 2003

 

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