Le texte qui suit a été écrit en 1990; certains le jugeront provocateur. S'il est provocateur de réflexion et de dialogue, ce sera tant mieux!
J'espère que le nom que j'ai choisi ("Mgr Devars"), n'est pas celui d'un évêque existant: sinon je prie qu'on me le dise, et je le changerai, car toute ressemblance éventuelle avec des personnes existantes serait (malheureusement?) purement fortuite.
L'histoire que je vais vous raconter se passe dans quelques années.
C'est l'histoire du dernier pape.
Certains des événements ci-après se situent en France, parce qu'il était français; mais cela se serait passé en Guinée s'il avait été guinéen; en Irlande s'il avait été irlandais.
Mgr Devars était archevêque de Toulouse; ses excellentes relations personnelles, son amitié même, avec de nombreux évêques du monde qu'il rencontrait lors de réunions de travail à Rome, ou lors des voyages auxquels il participait avec les commissions dont il était membre, firent que lorsque le Pape mourut et qu'on lui chercha un successeur, le conclave pensa rapidement à lui.
Le voilà élu, et il apparaît à la fenêtre du Vatican.
Comme ses prédécesseurs, il a les vêtements solennels de la circonstance; mais lorsque le moment est venu pour lui de prononcer un discours, son premier discours, il le fait avec une liberté de parole que l'on ne pourrait lui ravir qu'en osant l'interrompre, ce que personne dans la Curie n'ose faire, aussi stupéfaits soient-ils de ce qu'il dit.
"Jésus, explique-t-il, a confié son message à ses apôtres, en leur demandant d'être ses témoins. Il a chargé Pierre d'affermir ses frères et de leur servir de guide. Comme successeur de Pierre, j'ai conscience de l'importance de la charge qui m'échoit, et sais que je peux compter sur l'aide de Dieu pour l'accomplir.
"Jésus a vécu pauvre parmi les pauvres, méprisé par les riches, les puissants et les savants. "Les pauvres, a dit Jésus, vous les aurez toujours avec vous". C'est pourquoi il me semble que le successeur de Pierre ne doit pas être supérieur à son Maître. Il a vécu parmi les pauvres; je ferai de même, et vais quitter ce bâtiment dès aujourd'hui.
"Pour être parmi les pauvres en étant vraiment leur frère, je commencerai par aller vivre en France, à Paris, parmi les sans-logis et le "quart monde", dans les quartiers de banlieue les plus misérables. Ensuite peut-être j'irai dans d'autres pays.
"Ceci ne signifie pas que je renonce à mes responsabilités. Bien au contraire:
"Ma première responsabilité est de montrer aux hommes le visage de Jésus. C'est ce que je ferai par ce choix de vie.
"Ma deuxième responsabilité est d'affermir mes frères, c'est à dire de dialoguer avec les responsables des églises locales. Même si je vis parmi les plus déshérités, je consacrerai mes journées, outre à la prière, au travail et à des rencontres, dans des locaux pauvres que nous louerons en banlieue de Paris. S'il faut des salles de réunion, et il en faudra, nous les louerons également."
Le nouveau Pape, qui a choisi le nom de François en l'honneur du Poverello, poursuit; il explique notamment que les nominations d'évêques seront de son ressort en attendant que des formules plus collégiales soient trouvées, mais que pour ce qui est de l'administration de l'église, qui doit être considérée strictement comme un service coopératif rendu aux églises locales, un secrétaire général sera nommé.
En ce qui concerne l'autorité dans l'Eglise, c'est terminé: qu'il s'agisse de l'autorité disciplinaire, qui autorise ou interdit à celui ci ou à celle là de faire ceci ou cela; ou qu'il s'agisse de l'autorité théologique:
"L'Eglise doit devenir le lieu du dialogue dans le respect de l'autre; ceux qui ont une opinion pourront l'exprimer; ceux qui estimeront n'en pas avoir le pourront aussi. La capacité d'admettre que l'autre a une opinion différente, et de discuter avec lui sans violence ni reproche, sera la meilleure marque de l'amour.
"Une autre de mes fonctions est le dialogue avec les responsables des pays: j'irai les voir, s'ils veulent me recevoir, et je les recevrai dans ma banlieue, s'ils veulent y venir.
"D'autre part je suis un homme âgé: j'ai plus de 60 ans; je n'ai plus le dynamisme et l'énergie de la jeunesse, alors que les jeunes sont si nombreux dans le monde. C'est pourquoi je souhaite confier à un groupe de responsables de moins de 40 ans l'animation de la vie quotidienne de l'Eglise: vie liturgique, évangélisation, etc.
"Quant à vous mes amis, qui venez volontiers ici voir le Pape, et aussi à vous tous qui m'écoutez, je dis: faites, au moins une fois par an, l'effort de vous habiller aussi pauvrement que vous pouvez; allez dans les quartiers les plus misérables où vous oserez aller; passez y le même temps que vous auriez passé à venir voir le Pape.
"Cherchez Jésus là où il est".
Après ce discours, conclu par une bénédiction, le Pape se retire avec le cardinal secrétaire d'état; il quitte ses vêtements et revêt une simple soutane (se mettre tout de suite en civil choquerait trop au Vatican); puis il descend par les communs vers l'endroit où se font les livraisons; à sa demande, une camionnette est là, conduite par des soeurs qui sont ses amies; il s'installe à l'arrière, invisible. La camionnette va vers un petit aéroport où un avion l'attend.
Le voici bientôt en civil, en banlieue nord de Paris, dans les rues de Gennevilliers et de l'Ile Saint Denis.
Le soir, il va à Paris, cherchant des lieux abrités de la pluie.
Le lendemain, il téléphone au Vatican; mais quand il se nomme "François, animateur de l'église", on commence par lui raccrocher au nez, croyant avoir affaire à un plaisantin. Il obtient enfin le cardinal secrétaire et l'informe de ce qu'il a fait, et de ses projets.
François demande au cardinal de désigner quelqu'un pour s'occuper en région parisienne des locaux pauvres nécessaires pour les réunions. Le cardinal proteste; il comprend que, par souci de marquer sa préférence pour les pauvres, le Pape aille quelquefois parmi eux; mais sa place habituelle reste à Rome, où d'ailleurs de nombreux dossiers l'attendent.
François décide alors de faire le voyage de Rome; mais en civil.
(L'histoire s'arrête ici; à chacun d'imaginer la suite)
Post scriptum: Je découvre en octobre 2006 le livre
"L'aventure du pape Hyacinthe", qui débute un peu comme mon récit!
"Hyacinthe, qui a fui le Vatican, est devenu chaufeur de Taxi à Paris"
Il a été publié en 1991 ...
Et je redécouvre, en 2017, le livre de Jacques Neirynck "Le manuscrit du Saint-Sépulcre" (1994), dont les toutes dernières pages vont dans le même sens, et même plus loin !