Nouvelles transmissions?

Extrait de la "Lettre aux amis" n°45 du Prieuré Saint Benoît, 91 Etiolles,
avec l'autorisation de l'auteur


J'entends le choeur des lamentations, j'y ai parfois mêlé ma voix: "Ah! Nous avions pourtant éduqué nos enfants dans la foi, pourquoi ont ils donc tout laissé tomber? Mon fils ne s'est pas marié à l'église... ma fille n'a pas fait baptiser ses enfants!... " Au delà des habituelles difficultés de communication entre générations, qui touchent tous les domaines de l'existence, nous avons assisté, impuissants, à une vraie rupture, concernant toutes les couches de la société. Une fracture s'est produite, rendant la réalité ecclésiale comme étrangère à la planète des jeunes. Les deux continents se sont éloignés l'un de l'autre, et les signaux qu'on s'adresse d'une rive à l'autre ne sont plus réellement perçus. La question qui se pose alors est: y aurait il des moyens de renouer? Y aurait-il des possibilités nouvelles de transmission? Pour ma part, je vois apparaître quelques petits bateaux qui pourraient parfois permettre de faire passer certains trésors reçus des anciens d'un bord à l'autre; mais tout n'est qu'ébauche.

 

1 - Dogme et expérience

Voilà un point fondamental. Les dogmes "imposés par l'autorité religieuse" sont l'horreur majeure de beaucoup. Massivement, nos jeunes contemporains, pourtant habitués des théories les plus audacieuses, mettent l'accent sur la primauté de l'expérience, de leur expérience personnelle. La transsubstantiation, la virginité ou l'assomption de Marie, la divinité du Christ, le péché originel, l'infaillibilité pontificale... Ces réalités, autrefois vivantes, sont considérées avec l'étonnement de la poule qui a trouvé une paire de ciseaux et ne sait qu'en faire.

C'est que maintenant il ne suffit pas d'enseigner. Il faut d'abord faire, éprouver, expérimenter. C'est pourquoi les lieux où on peut vivre un moment spirituel fort sont indispensables. La beauté de la musique ou du chant, la présence d'un grand témoin, la profondeur du silence, l'intensité d'une phrase tirée des textes sacrés, la qualité de la relation humaine... ouvrent le coeur et permettent à la foule de ressentir (ah! ce mot qui revient si souvent... ) la dimension spirituelle de l'existence. Là, quelque chose se met en route, un chemin s'ouvre. Si, dans ce lieu, se trouvent aussi des personnes capables d'accompagner ce chemin, il n'est pas impossible que soient redécouverts, de l'intérieur cette fois ci, ces dogmes qui paraissaient si étranges.

 

2 - Recherche de lieux de transformation

Gardons cette image du chemin. Elle est très parlante. L'idée qu'il y a un chemin de transformation personnelle à parcourir gagne du terrain. Transformation, c'est à dire développement ou accomplissement personnel. Les maîtres de la psychologie des profondeurs n'y sont pas étrangers. Ils ont formulé en langage moderne, et à partir des blessures et maladies des hommes du 20ème siècle, une intuition multi séculaire de l'occident, déjà mise en valeur par les grands philosophes de la Grèce antique: il y a un travail intérieur à accomplir pour devenir réellement humain. C'est le thème du chemin initiatique.

Mais cela ne se fait pas tout seul. Y sont nécessaires un accompagnement une communauté, la proposition d'un style de vie. Certains ont pu trouver quelque chose d'analogue dans les sectes - il serait bien dommage que l'Eglise en général et les monastères en particulier ne proposent rien de ce genre. Bien entendu, l'ambiguïté est au rendez vous: recherche de paternité, de fusion dans un groupe... Mais ces difficultés ne doivent pas occulter un besoin fondamental: pour acquérir sa pleine stature, un homme a besoin d'être entouré. Ce n'est que plus tard qu'il pourra vivre de façon responsable. L'accompagnement lui permettra un usage juste de sa liberté, la communauté lui donnera la possibilité de relations humaines vraies.

 

3 - Exigence d'un développement global de la personne

Le "spirituel à l'état pur" n'intéresse plus guère, pour la bonne raison qu'il n'existe pas. La vie spirituelle est une façon globale de regarder la vie quotidienne et de la vivre avec une particulière intensité. Rien ne lui est étranger: les relations, la vie sociale, les émotions, les besoins du corps, le boom scientifique... Nos jeunes contemporains sont à la recherche d'un épanouissement de leurs facultés, de toutes leurs facultés et ne sont pas prêts à les sacrifier sur l'autel du spirituel.

Etonnamment, les maladies, petites ou grandes, physiques ou psychiques, sont souvent un point de départ. Lorsqu'il est meurtri, touché dans son corps, lorsque les souvenirs et les événements du passé sont trop douloureux, c'est alors que s'ancre chez un être le désir (et conjointement la peur) de la guérison. Ce n'est nullement un épiphénomène si le Christ s'est présenté en thérapeute du corps, du psychisme et de l'esprit.

Raccrocher les démarches de guérison au salut dans le Christ, c'est faire oeuvre d'évangélisation, mais surtout c'est donner à ces démarches leur vrai sens.

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Beaucoup se rendent compte qu'ils ont besoin de travailler leur psychisme. En proie à des mouvements émotifs qu'ils ne parviennent pas à maîtriser, ou à des désirs contradictoires qu'ils ne peuvent harmoniser, ils sont à la recherche de moyens pour y voir clair, pour mettre un peu d'ordre, et pour créer une dynamique d'unification intérieure. Les outils sont là, forgés par les chercheurs et par la tradition chrétienne. Pourquoi ne pas s'en servir? Comme le disait Paul VI l'Église est "experte en humanité" et peut rendre d'immenses services quand elle oeuvre dans ce domaine.

La sagesse du corps est un point important. Il s'agit pour les éducateurs et accompagnateurs religieux de se tenir à égale distance d'une ancienne éducation castratrice (trop facilement reprise de la philosophie grecque et intégrée au christianisme) et du laxisme permissif d'aujourd'hui. Il est urgent pour tous de trouver les voies d'une réelle habitation du corps. Nourriture et sommeil, repos et sport, sexualité et santé, travail des mains ... tout cela a besoin d'être repris, repensé, discuté, afin que chacun puisse trouver la façon juste d'habiter « le corps qu'il est ». Et aussi pour que le corps prenne réellement sa place dans la vie spirituelle et dans la prière, ce qui est tout de même le B.A. BA de notre tradition d'incarnation.

 

4 - Une distance affirmée avec le mode de vie contemporain

Injustement, les Eglises apparaissent trop liées avec les excès sociaux de ce temps. La surconsommation, le pillage des ressources de la terre, la violence, la primauté de l'argent et du spectacle, les inégalités sociales... engendrent bien entendu des réactions chrétiennes, actes ou paroles. Mais ces réactions paraissent bien faibles et parfois insignifiantes, comme si les Eglises avaient peur de s'engager, ou bien comme si elles étaient trop prises dans leurs problèmes internes pour agir.

Beaucoup de jeunes sont à la recherche d'une nouvelle ambiance collective. Souvent par peur, par impression d'être écrasé par une énorme machine. Mais aussi parce qu'en eux-mêmes il y a le sentiment profond que "ça ne devrait pas être comme ça! " C'est pourquoi la présence de nombreux lieux s'affirmant en désaccord avec ce climat social serait une chance. Car ils permettraient aux générations qui demain seront celles qui fourniront les décideurs, de se former à une nouvelle vision du monde. Ils permettraient de vivre en petits groupes une éducation à la consommation, au respect de la terre, à la gestion humaine de l'argent et des luttes de pouvoir.

 

5 - Articulation du Deux et du Un

Tout fonctionne, dans la culture occidentale, à partir du Deux. Noir ou blanc, homme ou femme, mal ou bien, psychologique ou spirituel, croyant ou athée... c'est le "ou" qui prévaut. L'informatique en est l'expression la plus achevée. L'Eglise n'a pas échappé à la toute- puissance du Deux, il y avait Dieu, là-haut dans son ciel, et moi ici-bas sur la terre, Lui le tout saint et moi le tout pécheur. Il y avait le saint et la fripouille, le sauvé et le damné... Cette dichotomie, dans la mentalité générale, a certes permis un développement technique impressionnant, car elle permettait aux hommes d'être totalement responsables de la terre et de son avenir.

Mais elle bute sur la réalité: tout, chez le vivant, est toujours plus complexe qu'on ne le croit, il y a du saint et du pécheur en tout humain. Et aussi elle ne tient pas compte d'une expérience spirituelle que tout le monde peut faire: celle de l'unité qui sous-tend l'infinie diversité. C'est pourquoi, dans une structuration des consciences, il convient maintenant de configurer le Deux et l'Un: en aidant chacun à vivre des moments de profondeur spirituelle qui permettent de vivre l'Un, et simultanément en permettant le discernement qui permet de ne pas tout mélanger. Pour ce qui concerne l'éducation au Un, un moyen riche est d'aider les personnes à prendre conscience de leur dimension divine; enfant des hommes, oui certes, mais aussi enfant de Dieu, avec en soi cette « image »,cette « ressemblance » ou pour prendre un autre langage, ce « coeur profond » qui peut devenir l'habitation de Dieu. C'est de ce lieu sacré, unifiant, que part l'infinie diversité du Créé.

Rester dans la double conscience de l'Un et de Deux est une façon juste d'honorer toutes les dimensions de la vie.

Le message chrétien n'a rien perdu de sa dynamique nouveauté, ce qui a vieilli, c'est la formulation et la façon dont il est présenté. En ce domaine, le double apport de la psychologie des profondeurs et des religions non chrétiennes permet de penser ce problème de la transmission d'une façon assez différente. Quoiqu'il faille toujours se rappeler que celle-ci n'est jamais d'abord une question de technique, mais avant tout d'engagement personnel.

Fr. Benoît


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