Une écoute chrétienne des nouvelles quêtes spirituelles et thérapeutiques...

"On ne rejoint une quête que dans les termes où elle s'exprime!"

Rencontre avec le Père Bernard Ugeux


D'origine belge, Bernard Ugeux a 46 ans. Père Blanc, docteur en théologie, c'est une expérience décisive de missionnaire en Afrique (République démocratique du Congo puis Tanzanie) pendant 14 ans qui l'a incité à entreprendre un doctorat d'anthropologie. Résidant actuellement à Toulouse, il enseigne à la faculté de Théologie où il participe à la direction de l'I.S.T.R. (Institut de Science et de Théologie des Religions). Par ailleurs il a animé la formation des jeunes Pères Blancs de la ville, où durant 9 ans il fut aussi le délégué épiscopal au Renouveau Charismatique pour l'archidiocèse.

 

- Au départ, vous êtes philosophe de formation, alors pourquoi avoir entrepris un cursus universitaire en anthropologie?

Dans le cadre de ma formation de Père Blanc je suis parti 2 ans en Afrique et cela m'a complètement déplacé: les abstractions philosophiques m'avaient donné des outils pour réfléchir, mais pas pour rejoindre la différence culturelle. J'étais préoccupé, en voyant des catholiques attirés par des sectes ou par des nouvelles églises afro-chrétiennes. Je me demandais ce qu'ils allaient chercher ailleurs. En regardant vivre les gens, j'ai constaté que lorsqu'ils traversaient des périodes de fragilité, notre langage ne les rejoignait absolument pas. Dès qu'ils étaient confrontés à un événement grave, ils évoquaient l'hypothèse de la sorcellerie ou du mauvais esprit.

Mais tout aussi spontanément, la médecine occidentale comme les Églises chrétiennes leur tenaient le même discours: "Tout cela ne correspond pas à la réalité; c'est le fruit d'une mentalité primitive que nous avons nous aussi connue autrefois en Occident... Avec les progrès de la biologie et de l'éducation, les gens ont abandonné ce type de mentalités... Il en sera de même pour vous, vous verrez, faites confiance au Christ, et en avant!"

- Quelles étaient les réactions à ce type d'injonctions?

Les gens écoutaient gentiment, prenaient un chapelet, demandaient un peu d'eau bénite, avant de s'en retourner chez eux. Mais le soir, ils allaient chez le devin, parce que nous n'avions pas répondu à leurs questions... C'est à partir de là que je me suis dit: "On ne rejoint une quête que dans les termes où elle s'exprime!"

Ils étaient angoissés, cherchant une origine personnalisée à la souffrance. Pour eux, c'était parce que quelqu'un leur en voulait (vivant ou mort, esprit ou humain). Aussi tant qu'ils n'avaient identifié la source et contre-attaqué, ils ne trouveraient pas les méthodes prophylactiques...

- Pourquoi avoir poursuivi cette recherche à votre retour en France il y a neuf ans?

A ce moment-là, j'ai trouvé jusque dans ma propre famille des personnes entièrement engagées dans le "Nouvel Age". Ils avaient une approche du corps, de l'affectivité, du rapport à soi, qui était très proche de celle des africains: être en bonne santé, c'est être bien dans son corps, dans ses relations, en harmonie avec le cosmos, etc. Percevant ici la naissance d'une nouvelle culture (un nouveau rapport au corps, au salut, aux sens) j'ai poursuivi dans la culture occidentale mon travail d'anthropologue commencé sur le terrain africain.

- C'est à partir de là qu'avec un collègue, vous avez fondé "l'Institut des Sciences et de Théologie des religions"...

Oui, et j'ai vu affluer de nombreuses personnes qui venaient chez nous parce que nous étions un lieu qui apparaissait comme sérieux et où l'on pouvait parler de toutes les religions et des phénomènes religieux. J'ai rencontré des chercheurs de Dieu et d'absolu... des chercheurs de sens!

Ce qui m'a bousculé, outre l'honnêteté de leur recherche, c'est que nous étions dans le même cas de figure que précédemment: les chrétiens sont souvent disqualifiés dans la réponse qu'ils apportent à leurs questions parce qu'ils ne semblent pas capables d'entendre les termes dans lesquels la quête est vécue.

Du coup j'ai essayé de me mettre à leur écoute. Depuis neuf ans, je rencontre énormément de personnes et je découvre sans cesse de nouveaux thérapeutes, de nouvelles techniques... C'est absolument passionnant et en même temps nous avons besoin de critères de discernement au milieu de toutes ces nouveautés!

- De par votre réputation, de nombreuses personnes font appel à vous pour tenter de s'y retrouver au milieu des thérapies, techniques et sessions en tout genre qui prolifèrent ces dernières années. Que leur conseillez-vous?

La première chose à faire, c'est de vérifier la justesse de leur propre quête. Est-ce une recherche de toute-puissance, une fuite du réel dans l'imaginaire, ou est-ce quelque chose de sain dans le sens où cela fait grandir la personne en vérité?

Dans ce type de démarche, les personnes oscillent entre deux pôles: il y a celles qui veulent une liberté totale d'expérimentation - la seule chose importante c'est que cela leur fasse du bien, quels que soient les autres effets éventuels pour les autres ou pour eux mêmes. A l'opposé, des personnes qui recherchent une prise en charge complète de leurs fragilités.

Les deux sont déshumanisants. D'un côté c'est la toute-puissance, de l'autre c'est la démission. Je crois qu'il faut se situer entre les deux, dans une liberté de recherche intelligente, discernante, qui nous permette de vivre des appartenances fortes (comme vivre en communauté par exemple), tout en gardant un esprit critique, une liberté.

Ce sont là quelques principes de discernement qui nous permettent de voir si c'est constructif ou si la personne est dans un scénario de toute puissance ou de démission.

Ensuite vient la proposition chrétienne: aider la personne à prendre conscience qu'elle est destinée à se laisser aimer par Dieu et par les autres. Entrer dans notre identité d'enfant de Dieu est ce qui nous qualifie en tant que chrétien.

Cependant nous ne pouvons le proposer que lorsque la personne est ouverte à un tel chemin. Je me méfie des gens qui arrivent avec des réponses toutes faites ou des affirmations massives comme: "Jésus est ton sauveur". Il nous faut avoir un très grand respect pour les balbutiements, même s'ils sont syncrétiques (mélangés), pour laisser les vraies questions émerger. Dans l'histoire de l'Église, nous avons trop souvent condamné rapidement. Aujourd'hui encore, je connais des personnes qui diabolisent tout ce qui vient d'Extrême-Orient, avec des propos comme: "toute utilisation de l'énergie est satanique". Ne soyons pas simplistes. La réalité du monde, de l'homme, de Dieu, est tellement complexe et mystérieuse alors que nous, nous sommes tous en chemin!...

- Selon vous, quelle devrait être l'attitude de l'Église?

Ne pas être constamment en position de jugement. Éviter d'avoir une définition unique du "religieusement correct!" Éviter le "tout ou rien", le "dedans-dehors". Il y a tellement de gens qui ont quitté l'Église parce qu'ils ont été blessés par l'accueil reçu... avec souvent des fragilités pouvant être liées à des situations comme celles des divorcés remariés, des jeunes en cohabitation avant le mariage, des problèmes liés à la contraception... Ce qui ne signifie pas que nous occultons notre foi, nos convictions... Or, je pense que l'Église peut être un lieu où la parole n'est pas seulement proclamée mais aussi libérée. Il existe des lieux où l'accueil et le respect de ces quêtes sont réels.

- Pouvez-vous revenir sur votre travail avec de nombreux thérapeutes et sur votre recherche anthropologique?

En commençant à travailler ces questions, j'ai proposé un cours qui mettait en avant l'aspect anthropologique de la relation thérapeutique, et l'importance de la dimension culturelle et religieuse de la santé. Assez rapidement le public soignant qui y assistait a été profondément déplacé par cette approche. Lorsque je leur disais "notre conception de la santé est marquée par notre culture. Elle influence l'interprétation que nous donnons à la souffrance. Si le soignant n'en tient pas compte, il ne rejoindra pas la personne dans ce qui fait sa souffrance", mes propos rejoignaient ce qu'ils pressentaient dans leur pratique.

- Pensez-vous que tout soignant devrait avoir un minimum de connaissances et de formations inter-culturelles pour mieux rejoindre le patient dans sa culture?

Je le crois d'autant plus que je ne réduis pas la culture à la différence ethnique, nationale ou régionale. Un exemple très simple: entre les populations qui habitent le centre ville et celles des banlieues, ce n'est déjà plus la même culture...

Par ailleurs, je pense à ces médecins qui travaillent dans le fin fond de l'Ariège. Lorsqu'ils m'entendent parler de la sorcellerie en Afrique, ils affirment eux aussi rencontrer les mêmes phénomènes dans leur pratique professionnelle... et de cela, personne ne leur a parlé à la faculté de médecine!

Ce que je tente de faire comprendre, c'est que nous fonctionnons tous à partir de nombreuses représentations culturelles non élucidées; et qu'il nous faut d'abord faire un travail sur nous-mêmes pour les identifier. Mais, s'il s'avère nécessaire de tenir compte de l'influence de la culture sur la façon dont une personne va vivre l'hospitalisation, il ne s'agit pas pour autant de faire du "culturalisme". C'est aussi une tentation contre laquelle je mets en garde les soignants. N'enfermons pas les gens dans leur culture!

- Lors de votre intervention au cours du colloque "Siloé" *, vous parliez de l'homme souffrant. Quelle parole apporter à celui qui est malade?

Lorsque quelqu'un souffre, la première chose c'est de le soulager. Une personne ne peut entendre une parole que si elle est dans un état qui lui permet d'écouter! Ensuite il est probable qu'il ne lui soit pas possible d'entendre des mots. Il y a une étape qui est de l'ordre du regard, du geste... Ce n'est qu'après avoir exprimé notre compassion par une attitude de proximité avec cette personne que nous pouvons oser une parole qui sonnera juste. Elle sera crédible si la personne a senti que nous lui accordions de l'attention.

- Comment ce travail anthropologique rejoint-il votre recherche théologique et votre ministère pastoral?

Certains me demandent "pourquoi Jésus guérissait-il autant?" Je pense qu'il ne pouvait pas être crédible auprès des plus pauvres sans cela. A son époque, les guérisseurs affluaient, les gens vivaient dans une misère noire, de nombreux cultes païens foisonnaient (c'étaient pour l'essentiel des cultes thérapeutiques, certains étaient localisés à proximité de sources d'eau). Aussi, parce qu'il évoluait dans ce milieu-là, Jésus est apparu d'emblée comme thaumaturge. Cela dit, il renvoyait continuellement au fait que la guérison était un signe de l'arrivée du Royaume, que la guérison d'une personne avait un rapport avec sa foi. Alors si Jésus lui-même a tant guéri, cela nous conduit à dire aujourd'hui: "le salut concerne la personne dans sa totalité". Ce n'est pas simplement un chemin spirituel de maîtrise de soi et d'ascèse, c'est vivre " debout", en plénitude!

- Cependant, Jésus n'a pas guéri tout le monde...

Lui-même n'a pas fui la souffrance et la mort. La véritable guérison c'est celle du désespoir, d'être sans Dieu, orphelins, de ne pas avoir de sens. La bonne Nouvelle c'est que Dieu est Père. La vraie guérison, pour un chrétien, c'est d'arriver à se laisser vraiment aimer par son père même s'il ne peut être guéri physiquement ou psychologiquement.

Il s'agit de prendre très au sérieux cette quête d'épanouissement car le christianisme, par ses propositions d'un certain mode de vie, de paix, de prière, de bonnes relations avec les autres, permet à chacun de se déployer dans son corps, son esprit, ses relations. Pourtant, il faut en même temps reconnaître que la souffrance est un passage obligé lorsque nous sommes sur un chemin de croissance spirituelle et humaine. Jésus n'a pas évité cette souffrance.

C'est une vision du salut qui prend en compte une quête normale d'autonomie mais en l'inscrivant dans un chemin pascal, qui est celui du "lâcher prise" par rapport à la toute puissance, de démaîtrise, d'acceptation de la souffrance avec la force de l'Esprit.

- Comment traduisez-vous cette vision dans votre pratique?

Dans un cycle d'initiation à la prière que j'anime, les participants arrivent avec une expérience du "New Age". Ils ne comprennent pas que l'on puisse prier uniquement mentalement, ils veulent prier de tout leur être. Aussi, je commence par consacrer toute la première partie de ce cycle au travail sur le corps, le souffle, la posture... pour les emmener dans un second temps à la prière du Coeur, et terminer enfin par une prière plus ignatienne où je les rends attentifs aux mouvements des esprits lorsqu'ils écoutent un texte de la Parole de Dieu.

- A partir de votre expérience, comment considérez-vous la manière dont l'Eglise transmet son message aujourd'hui?

L'Église a produit énormément de textes, et je me demande si elle ne devrait pas écouter plus. C'est la question de la réception: nous ne sommes pas assez attentifs à la façon dont les gens entendent ce que nous leur disons. Nous devrions selon moi développer une plus grande qualité d'écoute et tenter de trouver un langage simple et accessible; un langage actuel et authentique qui ne se contente pas de ce qui a pu être dit à une certaine époque, et que nous avons sacralisé. Dans notre tradition ecclésiale, il y a tout ce qu'il faut pour faire face à ces nouvelles quêtes spirituelles, mais il nous faut la revisiter et trouver une nouvelle manière de l'exprimer. L'Église n'est pas dépourvue de réponses!

En travaillant à cela avec le Conseil Oecuménique des Églises, je me suis aperçu que les milieux anglophones portaient, beaucoup plus que nous, ce même souci.

En France c'est une des raisons pour lesquelles je me suis tellement intéressé au Renouveau Charismatique. Innovant dans la prière et le langage de la foi, il offre encore de fabuleuses possibilités de créativité.

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* Colloque Siloé à Montagnieu (38) : "L 'homme souffrant et le désir de bonheur" ( 2001).

A lire:
- "Retrouver la source intérieure". Paris, Editions de l'Atelier - 2002
- "Guérir à tout prix". Ed. de l'Atelier - 2001
Cet ouvrage propose une présentation des quêtes contemporaines qui associent souvent spiritualité et thérapie. Il propose des critères de discernement chrétien aux thérapeutes, aux accompagnateurs et aux personnes en quête de sagesse, de sens, de salut.

Article paru dans la revue "Chemins neufs" N°11, printemps 2003 - Reproduit avec autorisation


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