La communication par Email

 


Le texte ci-dessous présente quelques réflexions sur les difficultés de la communication par Email.

Ce sujet a fait l'objet d'une discussion au sein de l'association Eklesia.net à partir d'un article de Michael Eisner, président de Walt Disney, dont la traduction a été publiée par le journal "Le Monde" le 9 juin 2000.

L'article de M.Eisner commence comme suit:

Nous avons perdu l'habitude d'écrire. Et puis soudain, l'email est arrivé et l'on s'est remis à correspondre par écrit. Mais à la différence d'autrefois, où une lettre était rédigée avec soin, prise en considération, lue et relue avant d'être cachetée et expédiée, on pond des notes, on clique et on envoie aujourd'hui aussi vite que les doigts peuvent courir sur le clavier.

J'ai récemment remarqué que les sentiments, au sein de notre firme compétitive, s'exacerbaient (etc.)

Après avoir comparé à des virus les difficultés rencontrées dans les échanges par email, M.Eisner conclut:

En mettant un peu de patience et de sagesse dans ce remarquable outil nouveau de communication, nous le débarrasserons vraiment de tous les virus et nous réaliserons son potentiel qui est de réunir les gens avec tact.

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On peut faire au sujet de la communication par email notamment les remarques suivantes:

Il faut avoir conscience des limites de l'outil et apprendre à s'en servir: la règle de laisser mûrir sa pensée (et de se relire), et de préférer, chaque fois que nécessaire, l'oral à l'écrit !! est encore plus valable à l'époque de l'email qu'avant. En effet:

- Ce que nous pensons amicalement peut être mal interprété.

- La moindre marque de désaccord peut être reçue comme une attitude hostile (empêchant les idées de l'autre de passer).

- Notre pensée est presque toujours "raccourcie", donc durcie: des nuances indispensables peuvent manquer.

- Des malentendus peuvent donc être causés par cet outil "aplatissant", qui supprime le rythme et les intonations, les mouvements du corps, etc. Les smilies sont nécessaires, mais souvent insuffisants. Ils sont la seule forme de "communication sur la communication" qui passe dans l'email, tandis que les autres formes de meta-communication (mimiques, ton, etc.) n'y sont plus. Quand on est face à quelqu'un, l'intonation et l'attitude sont aussi importants que les mots eux mêmes !

On a tendance à s'exprimer dans un message comme à l'oral, alors que son impact sur celui qui le reçoit est celui d'un écrit (du fait de sa persistance).

Il est indispensable, même si on échange quinze messages dans la journée, de toujours prendre le temps de mettre une formule "de politesse" au début: "cher Untel", et de ne jamais se contenter d'une simple phrase de réponse sans la faire précéder par une entrée en matière qui soit positive et amicale. L'email n'est en effet pas du "chat".

Il faut donc résister à la "spontanéité" pour au contraire prendre le temps de relire son propre texte comme si c'était quelqu'un d'autre qui l'avait écrit. Cela évite parfois des situations fort ennuyeuses, dues à une simple faute d'orthographe, ou à une erreur sur le destinataire.

Se rappeler également une des premières leçons en matière de communication: le message, et la façon dont le message est compris sont deux choses complètement différentes. On voit dans un message des choses que le rédacteur n'y a pas mises.

Lorsqu'on reçoit un courrier que l'on ressent comme agressif, toujours commencer par supposer que l'intention de l'auteur n'était pas d'être agressif et que c'est simplement une maladresse de rédaction. Lui donner le bénéfice du doute.

Il est bon de lire et relire un projet de message que l'on a rédigé ("laisser passer la nuit dessus") pour en éliminer autant que faire se peut les ambiguïtés, et mettre le maximum de gentillesse dans tout ce que l'on dit.

 

Des difficultés de communication entre personnes existent, c'est évident, même dans la conversation face à face. Elles tiennent autant, ou plus, aux différences de tempérament qu'aux éventuels défauts ou torts des uns ou des autres. Voir par exemple à ce sujet le livre de Gérard Collignon, "Comment leur dire..." dont une brève présentation figure dans ma bibliothèque. Ceci peut être amplifié par l'email.

Dans la conversation face à face, il est possible d'adapter au fur et à mesure ce que l'on dit en fonction des réactions de l'interlocuteur. Sur le net, on ne voit pas le visage de celui que l'on blesse et la blessure est d'autant plus profonde que l'on n'a pas adapté en temps réel, par un sourire, une reprise ou un auto-amendement son dire à l'autre.

Les méthodes d'écoute traditionnelle, qui privilégient l'empathie ont leur limite on line. Une bonne empathie consiste à reformuler le dire de l'autre, mais on se retrouve souvent avec une boite aux lettres vide...

 

Il convient d'être particulièrement attentif aux attaques personnelles. Si quelqu'un dit: "je n'aime pas le site web de X" cela peut déjà être ressenti par les gens qui ont contribué à ce site comme une attaque personnelle... Mais surtout, si quelqu'un répond alors "Qui es-tu, toi, pour prétendre ... (etc. etc.)" on quitte complètement la discussion de fond ("Ah bon, tu n'aimes pas ce site? Pourquoi?") pour une attaque de la personne. C'est inévitablement explosif et très destructeur. Or on fait très facilement des attaques personnelles, presque sans s'en rendre compte. Il faut à la fois se relire dans cet esprit, et être très attentif à celles qui apparaissent dans les échanges: siffler une pause dès qu'on s'aperçoit que quelqu'un a lancé une telle attaque!

 

Notons enfin qu'il y a un ou plusieurs aspects spécifiques aux mailing lists, forme particulière d'email: en particulier le fait qu'on y écrit "à la cantonade", pour tout le monde, bien que peut-être parfois on l'oublie.

Or la conversation bilatérale par email est souvent beaucoup plus amicale et respectueuse... Il y a donc un effet propre aux mailing lists (idem pour les fora sur le web).

Je ne critique pourtant pas ces listes, qui permettent des collaborations et des échanges utiles et efficaces - sans égal en fait.

Mais il faut avoir conscience de la difficulté supplémentaire que représente le fait de parler "en public". Et ne jamais hésiter à parler bilatéralement avec un des participants!

Les critiques "à la cantonade" sont particulièrement destructrices, et échappent parfois, par exemple lorsqu'on veut s'adresser amicalement à A., qui s'est plaint, en critiquant implicitement B: "Tu as raison, A., il y a des gens qui ont l'esprit obtus ici", etc. La personne visée se reconnaîtra évidemment. Pourquoi ne pas lui parler plutôt directement? Dans l'exemple cité ci-dessus, B., plein de bonne volonté, s'est désinscrit de la mailing list, découragé par cette critique et quelques autres.

 

Je remercie notamment Claude Hériard et Jean-Philippe Grimaldi de m'avoir autorisé à reproduire ci-dessus certaines de leurs observations.


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